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Entretien exclusif de Tibor Nagy sur Canal2: Entre parole et symboles

Par
Francis Fogué Kuaté
 
 
L'annonce de la diffusion de l'interview du Sous-Secrétaire américain aux affaires africaines, Peter Tibor Nagy, a suscité un grand intérêt auprès des auditeurs de Canal2 International. Au-delà du désir de découvrir le contenu de l'entretien, cet intérêt s'est également justifié par la curiosité de cette annonce. En effet, il est inhabituel pour un diplomate en visite officielle au Cameroun d'accorder un entretien exclusif à une chaîne privée. On a été habitué à ce que ce genre de privilège soit accordé à la chaîne nationale qui a un caractère pro-gouvernemental. L'interview de Tibor Nagy sur Canal2 relève donc de l'inédit. Il s'agit d'un fait inédit qui est forcément porteur de sens. Sachant que le langage diplomatique se décline aussi en termes des symboles, on est en droit de s'interroger sur la signification d'une telle initiative.  Comment comprendre ce choix médiatique? Que peut-il traduire? Libre à chacun de se faire son opinion.
Une autre curiosité qui a accompagné la diffusion de cette interview est le décalage observé entre l'heure annoncée pour sa diffusion et le moment de sa diffusion. Pour faire simple, la diffusion annoncée pour 21 heures, ce mardi 19 mars 2019, a finalement eu lieu au delà 21h35. Il a donc fallu attendre plus de 35 minutes pour enfin découvrir ce que Canal2 International a pu obtenir comme information fiable sur la visite du diplomate américain au Cameroun. Plus de 35 minutes, d'expectative. Plus de 35 minutes de questionnements pour tout observateur averti des médias.
Si les retards de ce type peuvent faire sens dans le cadre des directs, ils sont difficilement compréhensibles lorsqu'il s'agit d'un programme préenregistré. Le reportage de Rodrigue Tongué, diffusé dans le journal de 19h50, indiquait que l'entretien avait été enregistré dans l'un des salon du Hilton Hotel. Lorsqu'un programme a été préalablement enregistré, il subit une phase de montage avant diffusion. Lequel montage est fait bien avant l'heure annoncée pour la diffusion. Dans le cas d'espère, aucun doute ne saurait planer sur le respect de cette procédure par les techniciens de Canal2. Les  extraits  diffusés dans le journal ainsi que la bande annonce du programme prouvent à suffisance que les montages avaient été faits avant 21heures. Et c'est parce que l'élément était prêt pour diffusion que le chargé de programmes l'a programmé pour 21 heures. La prise en compte de ces éléments techniques caractéristiques du fonctionnement des médias audiovisuels emmène à s'interroger sur les raisons du retard observé dans la diffusion de cet entretien conduit par Carole Yemelong sur la supervision de Emmanuel Chatué. Que s'est-t-il passé pour que la chaîne ne respecte pas le rendez-vous de 21heures? A cette question se greffe une autre, celle de savoir pourquoi certains extraits de l'entretien, pourtant diffusés dans la bande annonce, ont disparu de l'élément qui a été diffusé? En effet, la dernière bande annonce diffusée juste après 21heures, contenait un extrait qui semble curieusement avoir disparu de l'entretien diffusé quelques minutes plus tard. La disparition de cet extrait, qui faisait référence à la "perception" et à "la réalité", peut donner cours à tout type d'analyse au regard de certains événements qui ont précédé l'arrivée du diplomate américain. Une autre matière à réflexion.
En ce qui concerne l'entretien proprement dit, son appréciation reste quelque peu mitigée du point de vue du fond et de la forme.

Sur le fond: quelques déclarations fortes

L'entretien a été assez édifiant sur les positions de Peter Tibor Nagy et donc des USA par rapport à certaines préoccupations de l'heure au Cameroun. Il s'agit, notamment des problèmes sécuritaires avec un accent sur la question anglophone; la santé des relations entre les USA et la Cameroun à travers la réduction de l'aide militaire américaine et l'attitude des USA vis-à-vis de l'opposition camerounaise durant les élections présidentielles. Chacune de ces préoccupations a donné lieu à des déclarations fortes de la part du Sous-Secrétaire américain:
Sur la question anglophone, Monsieur Nagy a insisté sur le fait que toutes les initiatives prises, autant par le Cameroun que par le USA, doivent être conformes aux lois en vigueur dans chacun des pays. S'inscrivant dans une perspective comparatiste, il a évoqué les exemples de la guerre de Sécession et celle du Vietnam pour attirer l'attention des Camerounais sur les réalités de la guerre. Au sujet de la guerre de sécession (USA) qui a opposé le Sud esclavagiste au Nord abolitionniste entre 1861 et 1865, il relève ce qui suit: "Despite of the horrors of our Civil War, at the end of it, especially the winners did their best to [reach] the hands of the losers". 
Répondant à une question relative à la solution de la crise, il indique qu'elle ne saurait venir de l'étranger, car seul le Cameroun peut y proposer une solution efficace. Par ailleurs, il a émis un avis personnel sur la question : "To me, one of part of the solution, I believe, is decentralization".
S'agissant de l'état de santé des relations entre les USA et le Cameroun, Tibor Nagy, qui a exercé comme diplomate au Cameroun au début des années 1990 -lorsque le Cameroun entrait de plein pieds dans les questions démocratiques- a fait savoir que tout allait pour le mieux entre les deux Etats qui entretiennent de bons rapports. Rien de bien surprenant quand on considère la subtilité qui caractérise le langage diplomatique. Toujours est-il qu'il a, à maintes reprises, insisté sur le caractère souverain de l'Etat du Cameroun: "Obviuosly, Cameroon is a sovereign State, and sovereign states decide what they will or not do". 
Enfin, sur l'attitude des USA vis-à-vis de l'opposition camerounaise et des élections présidentielles, Monsieur Nagy a tenu à préciser que son pays n'a pas pour vocation de financer les acteurs de l'opposition et encore moins de soutenir un candidat dans le cadre d'une élection présidentielle. Au contraire, "c'est notre tâche à l'ambassade de parler avec tout le monde". Et s'il y a une chose qui intéresse les USA, c'est le processus électoral, autrement dit, la manière dont  les élections sont organisées. Cela a été énoncé en ces termes: "In every élection, the United States of América has a candidate. But the candidate is the process, the process..."

Sur la forme: Une traduction approximative dans un somptueux décor 

Ce grand rendez-vous médiatique fait date dans l'histoire de la télévision au Cameroun. C'est en effet, la première fois qu'un média camerounais organise une interview de haut standing avec un décor digne des plateaux de CNN.
 
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La qualité esthétique du programme est donc à saluer bien que la traduction qui a été proposée pose un certains nombre de problèmes. 
Premièrement, le traducteur n'a pas été à la hauteur des attentes des téléspectateurs tel que cela transparaît des commentaires postés sur les réseaux sociaux et la page youtube de Canal2. Ses interventions discontinues ainsi que la lourdeur de son expression ont emmené à douter de la pertinence même de cette traduction. D'où le second problème. 
Deuxièmement, pourquoi avoir décidé de traduire les interventions du Sous-Secrétaire américain aux affaires africaines au cours de la première diffusion de l'interview? N'aurait-il pas mieux fallu procéder à cette traduction dans une seconde diffusion sur le modèle des interventions du Chef de l'Etat? Cela aurait aurait permis de mieux saisir le contenu de ses propos, autant pour les téléspectateurs d'expression française que ceux d'expression anglaise. En plus du fait qu'elle était de mauvaise qualité, la traduction rendait inaudibles certains propos de l'invité. 
Dans la même perspective, sachant que Canal 2 dispose d'un desk anglophone (canal2 English), on se serait attendu à un duo bilingue dans la conduite de l'interview. Même si les efforts de Carole Yemolong a dire une ou deux mots dans la langue de Shakespeare sont à saluer, il n'en demeure pas moins que la présence d'un journaliste anglophone, de sexe opposé, aurait rehaussé la qualité et la beauté de cette interview. Mais bon!!!
Qu'à cela ne tienne, à travers cette initiative, Canal2 a eu le mérite d'abreuver ses téléspectateurs à la bonne source. La meilleure façon d'édifier les Camerounais sur la visite du Sous-Secrétaire américain aux affaires africaines était de lui tendre le micro et non de se contenter de distiller de fausses informations  basées sur les rumeurs provenant de "personnes bien infiltrées" comme l'a fait une certaine presse. 
 
 
 


19/03/2019
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